Vers 1735, Mahé de La Bourdonnais introduit à Maurice un tubercule originaire d'Amérique du Sud, le manioc. Cultivé par les sucreries à l'époque, le manioc était utilisé principalement pour nourrir le bétail. Les bœufs tiraient les charrettes de cannes à sucre, des champs au moulin.
En 1868, Hilarion Rault, fils d'un colon breton installé depuis 1807 dans cette colonie française qu'était l'Isle de France, mit au point une recette de biscuits à base de manioc en essayant de reproduire les spécialités Bretonnes.. Il les fit goûter à ses proches qui l'encouragèrent à les commercialiser et c'est ainsi qu'en 1870 les “Biscuits Manioc” firent leur apparition sur le marché local.
Les biscuits, bien qu'appréciés, ne connurent pas un grand succès du fait que le manioc était perçu comme une denrée pour animaux. Cela n'empêcha pas Hilarion Rault de présenter son invention au concours de la Franco British Exhibition à Londres en 1908, où il remporta la médaille d'argent !
La première guerre mondiale affecta aussi notre petite île :
Les denrées alimentaires de base n'arrivant plus à destination, la population se tourna vers les Biscuits Manioc, seule farine alors disponible. La biscuiterie tripla sa production et plus de cent personnes travaillèrent nuit et jour pour subvenir aux besoins de la population. Les trains qui assuraient la liaison entre le nord et le sud de l'île partaient chaque matin avec des cargaisons de biscuits. A la fin de la guerre, le blé et d'autres produits importés refirent leur apparition et les Mauriciens délaissèrent les Biscuits Manioc.
L'industrie sucrière se développant, la culture de la canne à sucre devint une source plus rentable et plus fiable pour les agriculteurs, qui abandonnèrent la plantation du manioc.
En 1960, le cyclone Carol dévasta les locaux de la biscuiterie et n'en laissa que quelques murs en béton. Heureusement, un commerçant du village lui vint en aide en lui accordant, à crédit, des matériaux pour la reconstruction et un responsable de la sucrerie voisine de la biscuiterie la soutint aussi en faisant planter du manioc. C'est ainsi que la petite entreprise familiale pût redémarrer ses activités.
Malgré ces bonnes volontés la série noire continuait: l'expansion de l'industrie sucrière ayant entraîné la reprise des terres pour la culture de la canne, les aînés des fils durent arrêter l'école pour aider à subvenir aux besoins de la famille de 9 enfants.
A la fin des années 1970, Gervaise, un des plus destructeurs des cyclones qu'a connu l'île mène la biscuiterie au bord du gouffre. Seule la ténacité et persévérance de l'indomptable Thérèse permirent à la biscuiterie de survivre.
La « fabrique » comme l'appelle familièrement les membres du « clan Rault-Sénèque » connut alors les années les plus difficiles, ne fonctionnant que 6 mois sur 12, principalement à cause du manque de manioc. Le dernier recours fut d'en importer de Madagascar, ce qui aida tant bien que mal à garder à tradition vivante.
La situation devenant critique, la famille se résout à mettre en place des visites guidées payantes afin de sauvegarder ce patrimoine plus que centenaire. Ce qui fait que depuis 1995 les amoureux d'originalités peuvent venir déguster les nombreuses saveurs et découvrir un procédé de fabrication resté inchangé depuis sa création.
L'inventivité des générations qui se sont succédées n'a pas affecté le charme rustique de cette biscuiterie d'un autre temps. Le cachet artisanal est resté intact, certains équipements d'autrefois, telles la balance d'époque ou les plaques de cuisson en fonte, sont toujours utilisées. Seule quelques améliorations techniques (toutes issues de matériaux de récupération), permettent aujourd'hui un meilleur rendement.
Aujourd'hui encore cette recette unique reste un secret familial qui permet de perpétuer une histoire vielle de plus de140 ans mais qui reste étonnement adaptée au goût du jour : L'artisanat avec des matières naturelles.